Lettre ouverte
Nous exhortons les dirigeants mondiaux à mettre en œuvre des politiques de redistribution mondiale !
Nous exhortons les dirigeants mondiaux à prendre des mesures qui achèvent la pauvreté, mettent fin au réchauffement climatique et réduisent les inégalités.
Pour atteindre le premier objectif de développement durable et mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici 2030, des transferts internationaux sont nécessaires[1]. Pour réussir la décarbonation dans les pays à bas revenus, des transferts internationaux sont nécessaires[2]. Pour permettre à tous les humains de mener une vie décente, des transferts internationaux sont nécessaires.
L’écart est sidérant entre les niveaux de vie des pays à hauts revenus, où vivent 1,2 milliard de personnes, et ceux des pays à bas revenus, où vivent 700 millions de personnes. Le PIB par habitant est 66 fois plus élevé dans les pays à hauts revenus que dans les pays à bas revenus[3]. En d’autres termes, un transfert de seulement 1% du PIB des pays à haut revenus vers les pays à bas revenus doublerait mécaniquement le revenu national de ces derniers. Un transfert de cette ampleur peut être financé par un impôt sur la fortune modéré, de 2% sur le patrimoine au-delà de 5 millions d’euros, ce qui laisserait 99,9% de la population exempte de cette taxe[4].
Dans le monde entier, des majorités écrasantes soutiennent la redistribution mondiale. Un impôt mondial sur les millionnaires qui financerait les pays à bas revenus est soutenu par au moins 72 % de la population dans chacun des 20 pays sondés par une étude académique[5], dont 73 % aux États-Unis, 80 % en Pologne, 86 % en France et jusqu’à 90 % en Italie. Interrogé sur la part des recettes d’un impôt international sur les millionnaires qui devrait être allouée aux pays à bas revenus, l’Européen moyen répond un tiers, tout comme l’Américain moyen.
Sous l’impulsion du Brésil, le G20 étudie un impôt international instaurant un taux minimum de 2 % sur la fortune au-delà d’un milliard d’euros[6]. Tout en soutenant cette initiative, nous appelons à une mesure plus redistributive. En premier lieu, au moins un tiers des recettes d’un impôt international sur la fortune devrait être alloué aux pays à faibles revenus. En outre, le seuil d’imposition devrait être abaissé afin de taxer les millionnaires, et pas seulement les milliardaires. Enfin, les taux d’imposition devraient être plus progressifs et plus élevés pour les milliardaires.
Un tel impôt sur la fortune finançant les pays à faibles revenus[7] est déjà soutenu par 20 listes aux élections européennes (voir liste ci-dessous) représentants 64 eurodéputé⋅e⋅s issus de dix pays et quatre groupes parlementaires différents. Récemment, Josep Borrell Fontelles, vice-président de la Commission européenne, a lui-même appelé à un impôt mondial sur la fortune et à une solidarité mondiale sans précédent[8]. Il est temps d’agir.
Lors de la prochaine conférence des parties (COP), la communauté internationale doit fixer un nouvel objectif collectif quantifié en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. En effet, les 100 milliards de dollars annuels promis par les pays développés sont loin d’être suffisants pour aider les pays du Sud à lutter contre le changement climatique. Selon nous, le nouvel objectif devrait être porté à au moins 500 milliards de dollars en transferts (et non en prêts). Cette somme peut être financée par un impôt mondial sur la fortune. À l’heure où la fortune n’est taxée que dans une poignée de pays, nous avons une occasion unique de la taxer au niveau international et d’attribuer une large part des recettes de cette taxe aux pays du Sud. Si les recettes d’une nouvelle taxe commençaient par être appropriées par les gouvernements des pays à hauts revenus, il serait beaucoup plus difficile de les réorienter vers les pays à faibles revenus par la suite.
Entre-temps, il faut répondre immédiatement aux besoins des populations appauvries, sans attendre la création d’un nouvel impôt ou la réalisation de promesses. La première exigence du V20, groupe composé de 68 pays vulnérables, est le désendettement[9]. En effet, l’annulation de dette publique est une nécessité urgente pour ces économies en développement, pour beaucoup au bord du défaut de paiement depuis la crise du COVID et la hausse des taux d’intérêt. Nous ne pouvons plus tolérer qu’un pays comme le Kenya doive consacrer 55% de ses revenus au service de la dette[10], au détriment d’investissements vitaux dans l’éducation et le développement durable.
La mise en œuvre de transferts vers les pays du Sud adéquats, prévisibles et basés sur leurs besoins, devrait devenir la priorité de toutes les négociations internationales. Ainsi, la taxe carbone sur le transport maritime actuellement discutée au sein de l’Organisation maritime internationale[11] devrait financer les pays du Sud. Par exemple, les recettes à venir pourraient être réparties entre tous les pays en proportion de leur population.
Cette année, à la suite d’une proposition de l’Union africaine, les Nations unies créent une convention-cadre sur la coopération fiscale internationale[12] qui examinera les questions de taxation internationale lors de conférences des parties, à l’instar de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Ne ratons pas ce rendez-vous avec l’Histoire, et élaborons une fiscalité internationale équitable afin de progresser rapidement vers le développement soutenable.
Nous appelons les dirigeants mondiaux de l’ONU, du G20 et des COP à examiner les politiques de redistribution mondiale telles que celles décrites ci-dessus. Nous exhortons les décideurs politiques à mettre en œuvre des politiques mondiales qui redistribueraient au moins 1 000 milliards de dollars par an (c’est-à-dire 1 % du revenu mondial) des pays à hauts revenus vers les pays à faibles revenus. Ce ne serait qu’un premier pas vers un monde moins inégalitaire.
Nous sommes un groupe divers d’organisations de la société civile, d’universitaires, de politiciens, de syndicats et de citoyens du monde. Chacun est invité à rejoindre notre mouvement en soutenant cette lettre ouverte, en diffusant son message, en faisant campagne pour la redistribution mondiale ou en faisant un don à la cause. Enfin, nous encourageons les citoyens européens à signer l’initiative citoyenne européenne pour un impôt européen sur la fortune : un million de signatures sont nécessaires pour forcer la Commission européenne à examiner cette proposition.
Signataires
Global Redistribution Advocates
ACT Alliance
Attac France
Center for Economic and Social Rights (CESR)
Instituto de Estudos Socioeconomicos (Inesc, Brazil)
350.org
Les Écologistes – Europe Ecologie Les Verts (France, The Greens)
La France insoumise (France, The Left)
Nouvelle Donne (France, S&D)
Sumar (Spain, The Left)
Manon Aubry (MEP, La France Insoumise, France, The Left)
Saskia Bricmont (MEP, Ecolo, Belgium, The Greens/EFA)
Abdul Muheet Chowdhary (Member of the UN Subcommittee on Wealth and Solidarity Taxes)
Thomas Douenne (Assistant Professor of Economics at the University of Amsterdam)
Camille Étienne (activiste pour le climat)
Adrien Fabre (CNRS Economist at CIRED)
Isabelle Ferreras (FNRS Professor at University of Louvain/Harvard CLJE)
Estrella Galán (Head of list for Sumar, Spain, The Left)
Jayati Ghosh (Co-chair of ICRICT, Professor of economics at Jawaharlal Nehru University)
Revd David Haslam (Church Action for Tax Justice)
Pierre Larrouturou (eurodéputé, Nouvelle Donne, S&D)
Gabriela Martin (Senior Fellow at Open Diplomacy)
Mariana Mazzucato (Professor at the University College London)
Michael Pettis (Professor at Peking University)
Thomas Piketty (Professor of economics at the Paris School of Economics)
Rick van der Ploeg (Professor of economics at the University of Oxford)
Thomas Porcher (Professor at Paris School of Business)
Philippe Quirion (CNRS Research director at CIRED)
Marco Ranaldi (Assistant Professor of Economics at University College London)
Chloé Ridel (Candidate for the Socialist Party & Place Publique, France)
Nicolas Sansu (député, PCF, France)
Andreas Schieder (eurodéputé, SPÖ, Austria, S&D)
Marie Toussaint (eurodéputée, Europe Écologie Les Verts, France, The Greens)
Thomas Sterner (Professor of economics at the University of Gothenburg)
Pasquale Tridico (Candidate for the M5S, Italy, Professor of economics at Roma Tre University)
Yanis Varoufakis (Founder of DiEM25)
Partis ou listes à l’élection du Parlement européen de 2024 qui soutiennent l’impôt mondial sur la fortune et l’appel à la redistribution mondiale :
France :
Pascal Canfin, Renaissance & Besoin d’Europe
Parti Socialiste
Marie Toussaint, Les Écologistes
Nouvelle Donne
Thierry Paul Valette, Europe Équitable
Belgique :
Elio di Rupo, Parti Socialiste
Olivier De Schutter, Ecolo
Bruno Tobback, Vooruit
Autriche :
Andreas Schieder, SPÖ
Walter Baier, KPÖ
République tchèque :
Kateřina Konečná, STAČILO!
Danemark :
Kira Marie Peter-Hansen, Socialistisk Folkeparti
Per Clausen, Enhedslisten
Espagne :
Sumar
Allemagne :
Die Linke
ÖDP- die Naturschutzpartei
Italie :
Pasquale Tridico, Movimento 5 Stelle
Luxembourg :
Raymond Remakel, Piraten
Portugal :
Catarina Martins, Bloco de Esquerda
Duarte Costa, Volt
Suède :
Alice Bah Kuhnke, Miljöpartiet
[1] World Bank (2022), World Bank Group President David Malpass: Foreword to the Poverty and Shared Prosperity Report
[2] IEA (2023), Net Zero Roadmap
[3] En nominal. World Bank, Indicator NY.GDP.PCAP.CD
[4] Chancel et al. (2022), World Wealth Tax Simulator
[5] International Attitudes Toward Global Policies, Adrien Fabre, Linus Mattauch & Thomas Douenne (2023).
[6] https://www.taxobservatory.eu//www-site/uploads/2023/10/global_tax_evasion_report_24.pdf
[7] Par “pays à faibles revenus”, nous entendons les pays définis par la Banque mondiale comme “low-income” ou “lower-middle-income”.
[8] https://twitter.com/JosepBorrellF/status/1786504146897506384
[9] https://www.v-20.org/wp-content/uploads/2023/04/AMA-Agenda_April-16_compressed.pdf
[12] https://en.wikipedia.org/wiki/UN_Framework_Convention_on_International_Tax_Cooperation